El debat al PS francès
Tot i que després de les eleccions presidencials el PS francès ha d'afrontar en cinc setmanes el repte d'unes eleccions legislatives, la derrota de Ségolène Royal significarà l'obertura d'un important debat intern. Per fer boca, llegiu l'article publicat avui per Zaki Laïdi a Libération.
Mourir ou changer
Par Zaki Laïdi chercheur au Centre d'études et de recherches internationales*.
LIBÉRATION : mardi 8 mai 2007
La défaite de Ségolène Royal est indiscutable. Elle lui incombe donc forcément. L'imprécision de sa ligne stratégique globale et le flou de certaines de ses propositions y ont contribué. Mais à ceux qui voudraient instruire son procès en incompétence nous rappellerons ce fait élémentaire : avec tout le PS derrière lui et une expérience de plus de trente ans, Lionel Jospin n'avait même pas réussi à franchir le premier tour en 2002. Et en 1995, il n'avait guère fait mieux qu'elle aujourd'hui. Il faut donc chercher l'erreur ailleurs. Et cet ailleurs il se trouve dans un PS qui n'a su ni se moderniser avec Lionel Jospin ni après lui et, pis encore, s'engagea dans une spirale régressive après le référendum de 2005. La gauche française, qu'il faudra désormais appeler la «vieille gauche», celle qui, du PS à la LCR en passant par les Verts, vient pour la troisième fois consécutive d'échouer faute d'avoir accepté de se moderniser. Cette gauche qui, de manière pavlovienne, va chercher avant tout à diaboliser le nouveau maître de l'Elysée, dénoncer sa politique antisociale, reprocher à Ségolène Royal de n'avoir pas été «assez à gauche» alors que même l'extrême gauche est en miettes, le tout pour éviter de se remettre en cause.
Mais cette fois ne sera pas comme avant. Car si cette campagne a révélé quelque chose, c'est bien l'impossibilité de penser les enjeux du politique sur le mode idéologique et l'incapacité totale de la vieille gauche à apporter à Ségolène Royal des idées neuves susceptibles de l'aider à reprendre l'avantage.
Certes, cette vieille gauche en a rabattu de ses ambitions à changer le monde ou la vie. Mais, à force de se montrer incapable de proposer un autre chemin, elle en est graduellement revenue à revendiquer le retour au statu quo des Trente Glorieuses, ce temps où les emplois étaient stables et les frontières étanches. Les programmes de toutes les gauches de France sont devenus de purs et simples programmes de restauration justifiés par la nécessité de combattre les dégâts de la société libérale. Or, s'il suffisait mécaniquement de revenir sur les «politiques libérales» de la droite, on ne comprendrait pas pourquoi la gauche serait aujourd'hui aussi faible. On ne comprendrait pas non plus pourquoi, dans tout le reste de l'Europe, aucune coalition politique ne se soit construite sur la base d'une politique antilibérale, mais que a contrario tous les grands partis de gauche se soient convertis à des politiques réformistes, c'est-à-dire plus favorables aux logiques de marché et plus dubitatives quant à l'efficacité de politiques purement rédistributives menées par l'Etat.
Cet enkystement remonte au début du XXe siècle et aux conditions dans lesquelles s'est construit le socialisme français, qui n'a aucune culture social-démocrate. Son caporalisme social en témoigne. Mais ce qui est impressionnant, c'est de voir combien l'emprise du marxisme vulgaire, l'identification du raisonnement économique au complot social, la diabolisation de l'adversaire, la vénération de l'Etat, le mépris profond pour les expériences étrangères ont pour ainsi dire pénétré l'ensemble de la gauche française, qui s'est trouvée systématiquement tirée par le bas. La dégénérescence des Verts est de ce point de vue emblématique, surtout quand on compare mais qui oserait le faire ? les Verts français aux Verts allemands.
Certes, pour contrer sur un mode purement défensif le blairisme auquel la gauche européenne finira bien par rendre hommage, la vieille gauche française a cru s'en sortir par une habile référence au modèle scandinave. Mais cette identification formelle à la social-démocratie du Nord a quelque chose d'indécent. Car sur la quasi-totalité des sujets sur lesquels la vieille gauche française se veut intransigeante, les sociaux-démocrates du Nord ont tranché dans un sens généralement opposé. Sur la question du temps de travail, les Scandinaves, après une phase allant dans le sens du partage du temps de travail, ont commencé à effectuer le chemin inverse. L'allongement de la durée des cotisations retraite ne fait non seulement pas débat mais est indexée sur l'espérance de vie. L'idée qu'il puisse exister des régimes spéciaux ou des statuts protecteurs est profondément étrangère à l'égalitarisme scandinave. La responsabilité des administrations, symboliquement converties en agences publiques fortement décentralisée et soumises à une forte culture de l'évaluation, le développement des mécanismes d'incitations destinées à compléter les logiques de redistribution passive, la distinction entre la défense des services publics et celle des statuts des personnels, la priorité donnée à la défense des personnes et non des emplois sont autant de thèmes sur lesquels la vieille gauche française n'a pas de position claire de crainte de s'aliéner des soutiens. Car la gauche française est aujourd'hui une des plus archaïques d'Europe.
Aujourd'hui, elle n'a donc que le choix entre mourir ou changer, même si certains de ses politiques vont, dans un souci évident de survie, tenter d'imaginer, comme après 2002, la renaissance par le statu quo.
Pour autant, si le changement doit avoir lieu, il ne sera pas facile. L'hypothèse d'un «big bang» idéologique peut paraître séduisante. Mais elle risque fort d'être plus spectaculaire qu'effective. Car l'enjeu n'est pas seulement de se dire moderne mais de décliner cette modernité en faisant un travail de fond que le PS n'a jamais effectué. Pour autant, se dire social-démocrate ne saurait suffire dans un parti qui n'a pas cette tradition et dans un contexte où la social-démocratie est en crise. Il est aussi important de montrer et de prouver, notamment au noyau dur de l'électoral de gauche issu largement de la fonction publique, que le changement n'est pas qu'une nécessité inquiétante mais une source d'opportunités. Car tout le problème est là. Il est dans le renversement de perspective, dans le passage du pessimisme social lui-même issu d'un marxisme périmé à une vision plus ouverte et plus optimiste du changement social. La gauche ne peut pas être que le cartel de ceux qui ont peur de perdre leur statut.
Pour cela, il faut que la gauche moderne se saisisse des leviers de commande, congédie les responsables de sa stagnation décennale et commence enfin à travailler pour trouver un nouvel équilibre. Le New Labour a méticuleusement observé les bienfaits et les méfaits du thatchérisme pour se construire. La nouvelle gauche serait bien inspirée d'en faire autant avec le sarkozysme pour pouvoir un jour le détrôner, plutôt que de se lancer dans une diabolisation non seulement futile mais tout simplement mortelle. Dans cette nouvelle donne, Ségolène Royal peut, si elle s'en donne les moyens intellectuels et politiques, faire partie de la solution. Les a-t-elle ?
*Coauteur avec Gérard Grunberg de Sortir du pessimisme social. Essai sur l'identité de la gauche , Hachette-Telos, 2007.
Mourir ou changer
Par Zaki Laïdi chercheur au Centre d'études et de recherches internationales*.
LIBÉRATION : mardi 8 mai 2007
La défaite de Ségolène Royal est indiscutable. Elle lui incombe donc forcément. L'imprécision de sa ligne stratégique globale et le flou de certaines de ses propositions y ont contribué. Mais à ceux qui voudraient instruire son procès en incompétence nous rappellerons ce fait élémentaire : avec tout le PS derrière lui et une expérience de plus de trente ans, Lionel Jospin n'avait même pas réussi à franchir le premier tour en 2002. Et en 1995, il n'avait guère fait mieux qu'elle aujourd'hui. Il faut donc chercher l'erreur ailleurs. Et cet ailleurs il se trouve dans un PS qui n'a su ni se moderniser avec Lionel Jospin ni après lui et, pis encore, s'engagea dans une spirale régressive après le référendum de 2005. La gauche française, qu'il faudra désormais appeler la «vieille gauche», celle qui, du PS à la LCR en passant par les Verts, vient pour la troisième fois consécutive d'échouer faute d'avoir accepté de se moderniser. Cette gauche qui, de manière pavlovienne, va chercher avant tout à diaboliser le nouveau maître de l'Elysée, dénoncer sa politique antisociale, reprocher à Ségolène Royal de n'avoir pas été «assez à gauche» alors que même l'extrême gauche est en miettes, le tout pour éviter de se remettre en cause.
Mais cette fois ne sera pas comme avant. Car si cette campagne a révélé quelque chose, c'est bien l'impossibilité de penser les enjeux du politique sur le mode idéologique et l'incapacité totale de la vieille gauche à apporter à Ségolène Royal des idées neuves susceptibles de l'aider à reprendre l'avantage.
Certes, cette vieille gauche en a rabattu de ses ambitions à changer le monde ou la vie. Mais, à force de se montrer incapable de proposer un autre chemin, elle en est graduellement revenue à revendiquer le retour au statu quo des Trente Glorieuses, ce temps où les emplois étaient stables et les frontières étanches. Les programmes de toutes les gauches de France sont devenus de purs et simples programmes de restauration justifiés par la nécessité de combattre les dégâts de la société libérale. Or, s'il suffisait mécaniquement de revenir sur les «politiques libérales» de la droite, on ne comprendrait pas pourquoi la gauche serait aujourd'hui aussi faible. On ne comprendrait pas non plus pourquoi, dans tout le reste de l'Europe, aucune coalition politique ne se soit construite sur la base d'une politique antilibérale, mais que a contrario tous les grands partis de gauche se soient convertis à des politiques réformistes, c'est-à-dire plus favorables aux logiques de marché et plus dubitatives quant à l'efficacité de politiques purement rédistributives menées par l'Etat.
Cet enkystement remonte au début du XXe siècle et aux conditions dans lesquelles s'est construit le socialisme français, qui n'a aucune culture social-démocrate. Son caporalisme social en témoigne. Mais ce qui est impressionnant, c'est de voir combien l'emprise du marxisme vulgaire, l'identification du raisonnement économique au complot social, la diabolisation de l'adversaire, la vénération de l'Etat, le mépris profond pour les expériences étrangères ont pour ainsi dire pénétré l'ensemble de la gauche française, qui s'est trouvée systématiquement tirée par le bas. La dégénérescence des Verts est de ce point de vue emblématique, surtout quand on compare mais qui oserait le faire ? les Verts français aux Verts allemands.
Certes, pour contrer sur un mode purement défensif le blairisme auquel la gauche européenne finira bien par rendre hommage, la vieille gauche française a cru s'en sortir par une habile référence au modèle scandinave. Mais cette identification formelle à la social-démocratie du Nord a quelque chose d'indécent. Car sur la quasi-totalité des sujets sur lesquels la vieille gauche française se veut intransigeante, les sociaux-démocrates du Nord ont tranché dans un sens généralement opposé. Sur la question du temps de travail, les Scandinaves, après une phase allant dans le sens du partage du temps de travail, ont commencé à effectuer le chemin inverse. L'allongement de la durée des cotisations retraite ne fait non seulement pas débat mais est indexée sur l'espérance de vie. L'idée qu'il puisse exister des régimes spéciaux ou des statuts protecteurs est profondément étrangère à l'égalitarisme scandinave. La responsabilité des administrations, symboliquement converties en agences publiques fortement décentralisée et soumises à une forte culture de l'évaluation, le développement des mécanismes d'incitations destinées à compléter les logiques de redistribution passive, la distinction entre la défense des services publics et celle des statuts des personnels, la priorité donnée à la défense des personnes et non des emplois sont autant de thèmes sur lesquels la vieille gauche française n'a pas de position claire de crainte de s'aliéner des soutiens. Car la gauche française est aujourd'hui une des plus archaïques d'Europe.
Aujourd'hui, elle n'a donc que le choix entre mourir ou changer, même si certains de ses politiques vont, dans un souci évident de survie, tenter d'imaginer, comme après 2002, la renaissance par le statu quo.
Pour autant, si le changement doit avoir lieu, il ne sera pas facile. L'hypothèse d'un «big bang» idéologique peut paraître séduisante. Mais elle risque fort d'être plus spectaculaire qu'effective. Car l'enjeu n'est pas seulement de se dire moderne mais de décliner cette modernité en faisant un travail de fond que le PS n'a jamais effectué. Pour autant, se dire social-démocrate ne saurait suffire dans un parti qui n'a pas cette tradition et dans un contexte où la social-démocratie est en crise. Il est aussi important de montrer et de prouver, notamment au noyau dur de l'électoral de gauche issu largement de la fonction publique, que le changement n'est pas qu'une nécessité inquiétante mais une source d'opportunités. Car tout le problème est là. Il est dans le renversement de perspective, dans le passage du pessimisme social lui-même issu d'un marxisme périmé à une vision plus ouverte et plus optimiste du changement social. La gauche ne peut pas être que le cartel de ceux qui ont peur de perdre leur statut.
Pour cela, il faut que la gauche moderne se saisisse des leviers de commande, congédie les responsables de sa stagnation décennale et commence enfin à travailler pour trouver un nouvel équilibre. Le New Labour a méticuleusement observé les bienfaits et les méfaits du thatchérisme pour se construire. La nouvelle gauche serait bien inspirée d'en faire autant avec le sarkozysme pour pouvoir un jour le détrôner, plutôt que de se lancer dans une diabolisation non seulement futile mais tout simplement mortelle. Dans cette nouvelle donne, Ségolène Royal peut, si elle s'en donne les moyens intellectuels et politiques, faire partie de la solution. Les a-t-elle ?
*Coauteur avec Gérard Grunberg de Sortir du pessimisme social. Essai sur l'identité de la gauche , Hachette-Telos, 2007.
<< Inici